Emmanuel Stanislas – fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement du digital et de l’IT.
On me demande encore très souvent ce que le développement du télétravail implique pour les professionnels de la chasse aux talents. Qu’est-ce qui pourrait durablement changer ? Quelles opportunités ? Quelles sont les nouvelles attentes, les exigences, les nouveaux usages ? Le télétravail convient-il à tous ? Que conseiller aux candidat.e.s aujourd’hui ? Etc.
La première chose à souligner, c’est qu’une donnée centrale du recrutement vient de voler en éclats : la localisation. Pour les candidats comme pour les entreprises, c’est un changement énorme et la disparition (relative) d’un frein à l’embauche. Les organisations n’hésitent plus à recourir aux services de profils rares éloignés géographiquement et sont plus disposées à envisager d’autres fonctionnements. On ne refuse plus automatiquement le ou la candidat.e. qui ne veut pas bouger, celui ou celle qui habite à plus de quarante-cinq minutes de son lieu de travail et/ou qui exige un mix de télétravail et de présentiel. Vouloir travailler à Paris et exiger de rester vivre à Nantes, n’est plus forcément un handicap et vice-versa. La rapidité de cette évolution était impensable il y a seulement un an. La distance fait moins peur, même pour les fonctions longtemps associées à une présence à temps plein (RH, DSI,…). Les entreprises moins bien situées, mais qui restaient frileuses à ce sujet, ouvrent plus largement leurs postes au télétravail et deviennent plus attractives pour certains. Les lignes bougent, l’espace concurrentiel en est modifié et c’est une période d’observation très intéressante pour les chasseurs de talents (du digital s’entend). C’est aussi une période d’interrogations nouvelles pour tous les acteurs.
Personnellement, je me demande dans quelle mesure nous sommes également disposés à bien vivre le télétravail intensif et à long terme, alors que nous avons été formés à projeter le travail à l’extérieur , c’est-à -dire dans l’entreprise ? Et à titre professionnel, je pense qu’il est bon de s’assurer que le télétravail à haute intensité puisse convenir à tous les profils et/ou à toutes les étapes d’un parcours.
Pour cette raison, j’invite les candidat.e.s à bien analyser leurs besoins et leurs attentes avant de prendre en considération un poste à forte dimension télétravail et à veiller à ce que les conditions matérielles pour être efficace à distance soient bien réunies. Les épisodes de confinement ont servi de test et je conseille vivement d’en tirer les leçons ; d’autant plus qu’aujourd’hui, on peut très bien dire que ni son appartement (ou sa vie de famille) ne sont adaptés pour télétravailler sur la durée, puisque rien n’interdit de négocier la prise en charge du coût d’un espace de coworking ; c’est une pratique bien acceptée par beaucoup d’entreprises.
En ce qui concerne le poste, j’encourage les candidat.e.s à se demander : avec quelles personnes vais-je devoir interagir ? Quelle sera la fréquence de nos interactions et leur intensité ? Quelle importance dans le bon déroulement de mes missions ? Ce qui permet d’évaluer le temps de présence sur place qui reste indispensable. Les fonctions support, les fonctions qui réclament une compréhension des métiers, celles qui demandent d’entendre les acteurs situés au cÅ“ur de l’activité de l’entreprise vont réclamer, forcément, plus de présentiel. Attention ! « tout télétravail » ne dit pas « zéro déplacements » !
Le niveau d’expérience, junior, expérimenté ou confirmé, mais aussi la personnalité des candidat.e.s vont modifier certaines attentes ; notamment en ce qui concerne la vie de l’entreprise (sa socialisation interne). Les relations et amitiés qu’on peut y développer, les débriefs de fin de journée autour d’un verre, etc. A quel point ces choses vont manquer ? (A titre d’anecdote, pour la première fois en vingt ans d’activité, un candidat confirmé m’a demandé hier : « est-ce qu’on rit chez votre client ? »)
C’est aussi valable pour tout ce qui relève de l’apprentissage informel : ces informations glanées au détour d’une conversation, d’une pause-café ; ces possibilités d’obtenir un coup de main comme de demander un avis, un conseil dans le couloir entre deux réunions – et donc, de progresser dans sa compréhension de la culture de l’entreprise, des enjeux de sa fonction ; en a-t-on plus ou moins besoin ? Si oui, comment mettre en place un équivalent à distance ? La question reste entière, même si souvent mentionnée.
Les conditions du télétravail, on s’en aperçoit, demandent à être négociées individuellement selon chaque poste, en fonction de chaque profil et aussi… en fonction des personnalités. Il est possible que le télétravail rende la vie plus difficile à ceux ou celles qui ont trop peu de vie personnelle et déconnectent moins facilement (faute de quelque chose d’intéressant ou d’agréable à faire à la fin de la journée). L’épisode Covid nous l’aura appris : se retrouver face à un vide, n’avoir rien à faire après une journée intense sur Zoom peut être rude pour l’équilibre !
Évidemment, il n’est pas question d’évaluer la vie personnelle des candidat.e.s ! En revanche, on va de plus en plus attendre d’eux qu’ils aient conscience de… qui ils sont. Qu’est-ce qui leur conviendra le mieux sur la durée ? Qu’est-ce qui affecte leurs résultats, etc ; Pourquoi ? Eh bien ! parce qu’à l’exception de ceux qui télétravaillaient avant la crise sanitaire, les professionnels manquent encore de pratique : ils ont juste vécu (en improvisant) une délocalisation de leur travail au plus fort d’une crise ! (Et non pratiqué le télétravail, qui est un mode de production organisé). Alors, faute à ce jour d’un recul suffisant, leurs retours d’expérience sont indispensables à la définition des futures bonnes pratiques, pour tous et toutes !
Sinon vous pouvez :