Par Emmanuel Stanislas, Fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement du digital et de l’IT.
Plutôt que des fonctions en CDI qu’ils jugent peu attrayantes, les candidat.e.s du digital sont attiré.e.s par des projets et des missions en free lance. Cette tendance observable inquiète les chasseurs de talents et leurs entreprises clientes car elle pourrait entraîner des mutations d’importance.
Les entreprises qui recrutent sont nombreuses à poser cette question aux professionnels du recrutement : « Est-il vrai que les candidats recherchent aujourd’hui des missions en freelance plus que des CDI ? ». La réponse étant positive, il s’agit d’un sujet de préoccupation pour tous – chasseurs de talents inclus – car c’est un fait, le CDI ne fait plus vraiment rêver les candidat.e.s du digital (et certainement pas les plus demandé.e.s).
Le CDI ne fait plus rêver les talents
Le phénomène tend à prendre une certaine ampleur et il semble que le travail en freelance (ou en série de contrats courts) donne aux jeunes professionnels une sensation de liberté plus grande alors que les organisations commencent à peine à le prendre en compte dans leur stratégie de recrutement. En effet, travailler en free-lance donne la possibilité de faire des pauses entre deux missions et pour ceux qui sont autonomes sur une tâche, la possibilité d’être en « full remote ». Déménager à l’envi, voyager, et pourquoi pas, adopter un mode de vie nomade, à l’instar de certains, devient parfaitement possible. Enfin, les conditions financières à court terme (si, bien gérées), peuvent aussi être plus intéressantes qu’en CDI. En résumé, le « rebond » accéléré d’entreprise en entreprise s’est installé dans les imaginaires comme un idéal de déroulement de carrière, teintant au passage le CDI traditionnel d’une couleur old school.
Un rapport au travail plus transactionnel que contractuel ?
Le changement s’est opéré sur la durée et, à mesure de l’accélération de la transformation des organisations, une certaine culture du travail agile propre aux métiers du digital s’est imposée à tous. On ne s’engage plus comme auparavant « dans » une société, on n’entre plus « dans » une « maison » pour y faire carrière, mais on travaille « sur » un projet, une tâche, une mission. Plus encore, le CDI est assimilé à une forme de contrat rigide – protecteur certes, mais contraignant, sans pour autant garantir un «moyen-long terme». En résumé : on n’y croit plus. Pour les candidat.e.s, il a cessé de représenter un engagement ferme de part et d’autre, mais tend à être perçu comme un CDD « à rallonge » – le terme « indéterminé » étant devenu synonyme d’ « incertain » et non de « sans terme ». La relation transactionnelle semble avoir pris le pas sur l’aventure commune faite de changements successifs.
Le défi de la mobilité interne
On observe néanmoins l’amorce d’une prise de conscience chez les employeurs en demande. Certaines entreprises tentent notamment de mettre en avant leur capacité à offrir les conditions d’une carrière faite de rebonds successifs. Elles mettent spontanément en valeur auprès des candidat.e.s les possibilités élargies de mobilité interne (notamment entre leurs filiales à l’étranger). On évoque aussi plus tôt et plus sereinement la possibilité pour une recrue de « naviguer » à l’intérieur d’un même grand groupe, dans des entreprises différentes. Etc. Dans les faits, les organisations restent prises entre des injonctions contradictoires : d’un côté, le besoin de répondre à l’attente d’évolution des candidat.e.s ; de l’autre, une forme de renoncement à fidéliser les talents – « le turn over est normal ; c’est la fin d’un cycle ».
Les chasseurs de talents, futurs acteurs de la mobilité ?
Aujourd’hui les cabinets de recrutement, bien que missionnés par les employeurs, évoluent dans ce que l’on appelle « un marché de candidat.e.s » ; ce sont en effet ces dernier.e.s qui mènent la danse. Certains confrères n’hésitent plus à s’adresser directement à eux/elles en se présentant comme « agents de talents » (entendre par là qu’ils leur proposent de leur confier leur recherche en vue de trouver pour eux le poste souhaité… et non plus le contraire, à savoir les convaincre de rejoindre leurs entreprises clientes). La demande générale des candidat.e.s penche vers une plus grande flexibilité, la possibilité de changer de tâche avant de s’ennuyer, de pouvoir continuer à évoluer et d’être embauché « pour » faire une chose et non pas « chez » untel ou untel. Serait-il temps d’admettre que ces évolutions ne se prêtent ni au CDI, ni au CDD, ni même au free-lance, mais à un nouveau type de contrat et d’engagement qu’il resterait à inventer ? Dans tous les cas, la demande des candidat.e.s va peser très certainement (et rapidement) dans la définition de nouveaux cadres contractuels.