Les recrutements féminins sont encore mal argumentés

Les recrutements féminins sont encore mal argumentés

Par Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine, cabinet de recrutement du digital et de l’IT.


De plus en plus d’entreprises qui recrutent manifestent ouvertement aux chasseurs de talents leur préférence pour des profils féminins. Cette discrimination positive est une bonne nouvelle en soi mais comporte un aspect plus problématique : la plupart de ces demandes ne s’appuient sur aucun argument relatif au poste à pourvoir ou aux missions confiées.


Une préférence exprimée auprès des professionnels



Aujourd’hui, les professionnels de la chasse au talent le remarquent, non seulement il n’y a plus d’objections formulées à la présentation de candidatures féminines auprès des entreprises clientes, mais une véritable attente, exprimée très tôt dans le processus. Les entreprises veulent des femmes et le disent. L’expression de cette préférence est un phénomène nouveau (qui excède le secteur des nouvelles technologies) et qui mérite d’être considéré avec attention. On entend actuellement des phrases comme « nous n’avons que des hommes de plus de cinquante ans, avec des parcours identiques ou presque alors nous aimerions du nouveau aujourd’hui et voir une femme, plutôt jeune, rejoindre le Comité de direction » ou bien encore « il faut féminiser et corriger la pyramide des âges ! » Le critère de nouveauté d’un recrutement féminin dissimule aussi une autre réalité : un mail de la direction rappelant des objectifs de parité loin d’être atteints et/ou des chiffres catastrophiques en termes d’encadrement féminin. En résumé : on recrute des femmes au même titre qu’il faut améliorer son bilan carbone… pour atteindre des objectifs et cocher des cases.


Un pourquoi qui n’est pas toujours clair dans les esprits



Il arrive aussi que la préférence pour une candidate soit argumentée autour de certains points ; cela peut être en termes de style de management, de composition d’équipe, ou plus encore, de secteur d’activité (par exemple lorsque l’entreprise crée un produit ou un service qui s’adresse essentiellement aux femmes ; lorsque celles-ci en sont les prescriptrices, etc.). Mais majoritairement, peu d’arguments se rattachant aux spécificités de la mission proposée sont mis en avant, ce qui est regrettable. On ne parle pas plus de la stratégie RH dans laquelle ce choix de discrimination positive vient s’inscrire. Une véritable « tendance » concernant les candidatures féminines se développe (voire même un nouveau fantasme professionnel). Si l’on veut des femmes à des postes auparavant occupés par leurs homologues masculins, c’est parce qu’on entend partout qu’elles auraient une approche plus consensuelle et moins conflictuelle, qu’elles seraient plus rigoureuses, plus empathiques, plus déterminées, etc. ; et qu’elles seraient la solution à… tous les problèmes rencontrés ! Le pourquoi du recrutement s’auréole alors d’une dimension imaginaire très forte. On s’interroge peu sur la nature du changement attendu (une autre approche managériale, un virage stratégique ?) et on ne se demande pas si la culture et les valeurs de l’entreprise vont faciliter ledit changement ou non.


Trop d’attentes projetées sur les candidates ?



Il est utile de se demander si cet engouement pour les profils féminins ne masque pas de nouveaux biais : les femmes seraient uniformément plus à l’écoute, uniformément plus organisées, moins dans la compétition, plus attentives à leurs équipes, etc. On projette sur leur candidature une somme d’attentes, souvent peu claires, qui ne peuvent que conduire au malentendu. Ce n’est pas, par exemple, parce qu’on est une femme qu’on va manager différemment ou mieux (ou bien qu’on adoptera immanquablement une attitude bienveillante face aux équipes). Si c’est le cas, c’est plutôt parce que l’on possède les compétences et les qualités qui correspondent aux attentes de l’organisation et aux besoins de son marché. En vérité, il est bien moins question de genre que de personnalité professionnelle. Les entreprises devraient pouvoir le formuler lorsqu’elles insistent en faveur d’un recrutement féminin : « nous voulons une femme à ce poste, parce que notre encadrement est trop masculin et que nous souhaitons envoyer un signal fort à nos collaboratrices peu encouragées par l’absence d’une femme à un poste important ; nous souhaitons aussi une personnalité avec des capacités à donner le cap, à mobiliser et accompagner les changements souhaités, etc. ».


Faut-il mieux argumenter les recrutements féminins ?



Demander à mieux argumenter les recrutements féminins ne signifie pas qu’on doive les « justifier ». Dans l’idéal, et sans le déséquilibre persistant en faveur des hommes, la neutralité devrait être de mise mais le problème aujourd’hui est que nous sommes encore loin d’avoir atteint l’équilibre. Le manque d’arguments en faveur d’un recrutement féminin est donc trop souvent le symptôme que ce recrutement n’a pas été assez pensé (et que les termes « candidature féminine » sont associés à de nouveaux clichés). La discrimination positive gagne à être reconnue pour ce qu’elle est : un véritable choix. Elle est certainement le meilleur moyen de faire avancer les choses dans le bon sens, encore faut-il ne pas projeter sur la nouvelle recrue des attentes irréalistes de « changement » sans plus de précisions. Dire que l’on préférerait une femme à un certain poste ne suffit pas (et n’est pas toujours assimilable à un signe encourageant) ; en revanche, dire pourquoi permet de faire un meilleur recrutement, celui qui bénéficiera d’égale façon et à l’entreprise et à la candidate.

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